Tout ça, c'est la faute à Maïa
qui a demandé à oncle Vincent de lui raconter cette histoire.
Quand j'étais au Liban, il y a plus de 30 ans, c'était pour y filmer la guerre. Je suis resté là-bas pendant un an et demi. C'était pas pour moi, mais à 20 ans on a la tête pleine de jus de couilles, et c'était très payant.
J'ai appris qu'il est facile de distinguer les bons et les méchants pendant une guerre. Les méchants ont des armes et s'entrent tuent, et les bons sont coincés avec ces pauvres connards. Ils en sont souvent victimes, même si ils ne veulent pas se mêler de ça, les bons.
Ceci dit, à l'époque, il n'y avait pas d'internet. Il fallait poster nos bobines de film et nos cassettes. Ça arrivait 2 jours après et ils étaient avertis du contenu à venir par téléphone.
Phillip était le reporter il faisait les recherches, les réservations et tenait le micro devant la caméra. C'était lui le patron. Il ne parlait que l'anglais.
Nazilh était le caméraman. Il parlait le français et l'arabe. Il était né au Liban. Il était pas très religieux, mais il était maronite. C'était lui notre traducteur dans ce coin là.
J'étais "
le mulet" dans l'équipe. Je trimballais l'équipement et en prenais soin, faisait la prise de son et conduisait le LandRover. Je parlais le français et l'anglais.
On couchait souvent dans des hôtels, mais la où il n'y en avait pas, les deux autres couchaient dans le LandRover et moi j'avais une tente, car je ronfle.
Un matin à l'aube, on allait à Tripoli pour y poster des cassettes. On a vu un camion immobilisé au bord de la route. Il y avait un homme à coté qui nous faisait des signes.
Nazilh - On ne peut pas le laisser là.
Moi - We can't leave him stuck there.
Phillip - No, let's help him, stop. The post office opens in a few hours anyways.
Moi - J'arrête, on va l'aider.
Je me suis garé derrière son camion. Son camion était rempli de melons verts bien murs.
Nazilh a parlé avec lui.
Nazilh nous a expliqué que l'homme était un cultivateur qui allait livrer ses melons au marché de Tripoli. Que son camion s'était arrêté tout d'un coup, sans raison. J'ai traduit à Phillip.
Moi - C'est peut être le filtre à diesel qui est encrassé. Je pourrais régler ça en quelques minutes, si c'est pas le cas, tu resterais ici à surveiller les melons pendant qu'on l'amène à Tripoli pour une dépanneuse ?
Nazilh - Oui bien sur.
Moi - It's probably the diesel filter. I could fix this in a few minutes. If it's not the case, Nazilh agrees to watch the truck until a towing arrives from Tripoli.
Phillip - Cool, give it a try.
Moi- Explique lui.
Nazilh lui explique.
L'homme avait l'air ravi.
J'ai été chercher les outils, j'ai ouvert le capot, démonté le filtre, j'ai soufflé dedans et l'ai remis en place en siphonnant le carburant dans le conduit. J'ai remarqué que les pneus de son camion étaient usés à la corde.
Moi - Dis lui d'essayer de démarrer par petits coups de 5 secondes.
Au bout de quelques essais, le camion a démarré. L'homme nous a donné un gros câlin à tous les trois en racontant des trucs.
Nazilh - Il nous invite au mariage de sa fille ce midi à 30 minutes d'ici. Il nous invite à une fête où on va boire et manger. Il nous invite à dormir chez-lui. C'est tout un honneur qu'il fait à des étrangers. On ne peut pas refuser.
Je traduis à Phillip.
Phillip - Lets go party guys !
Nazilh a raconté des trucs à l'homme et ils ont échangés.
Nazilh -Il a besoin de deux heures pour faire vider le camion au marché. Il suggère qu'on le retrouve au marché quand on aura fait nos trucs et il nous mènera à sa ferme.
Je traduis à Phillip.
Phillip - Lets go party guys !
Phillip était un bon patron. On avait eu une journée difficile la veille. On a failli y passer. Ça tombait de partout. On ne savait même pas qui bombardait. On a eu de la chance de sortir de ce barrage d'artillerie.
Moi - There is a battery belt recharging in this house.
Phillip - [bleep!] the battery belt ! Get us out of this shit now you fucking moron !
On s'est poussés et on a filmé le hameau se faire écraser à distance. C'était ça sur nos cassettes. Phillip savait qu'on avait besoin d'une pause. Restait à découvrir qui avait tiré, mais on avait deux jours encore.
On a posté les cassettes à Tripoli, Phillip a fait un téléphone, on a mangé du ful medames, puis on est allé au marché.
On a rencontré l'homme au marché, son camion était déjà presque vide. Les employés le vidait en se lançant les melons de l'un à l'autre vers l'étal (la file indienne). Ils se moquaient de celui qui en avait échappé un.
Il nous a conduit vers sa ferme.
Quand on a débarqué, il y avait plein de gens. Les enfants nous grimpaient aux jambes comme des petits chats.
Les femmes avaient passé 3 jours à préparer le banquet des noces avec amour.
Sur le terrain, il y avait un ruisseau, des vignes, des melons, des légumes, des arbres fruitiers dont des cerisiers qui donnaient des cerises grosses comme des balles de golf.
Derrière la maison il y avait une petite cabane où il y avait l'alambic. L'homme avait beau être musulman, tout les voisins emmenaient leur vins de divers fruits pour y distiller l'alcool.
La future marié était jolie, avec des yeux incroyables, et des fleurs dans les cheveux.
Le futur marié semblait un vigoureux moustachu qui avait le regard rempli de paix, de sagesse et de tendresse. C'était pas un colosse, mais quand on a échangé un câlin, ses muscles étaient durs comme du bois. (non, pas un "muscle" en particulier) Ce gars-là travaillait au champ, c'était clair.
La mariée était habillée sobrement, les cheveux couverts d'un voile, pendant la cérémonie. La famille du marié lui a apportée des offrandes, dont des bijoux, des épices et du parfum.
Le marié avait son plus beau costume et est arrivé après les offrandes.
Après une brève cérémonie religieuse, la fête a commencée. La mariée a retiré son voile et on voyait les petites fleurs dans ses cheveux.
On avait de la bouffe à profusion, des vins exquis, de l'alcool tant qu'on voulait. Il y avait au moins 40 trucs à bouffer et tout était absolument délicieux.
Il avait des vrais musiciens et tout le monde dansait, moi aussi, même si j'ai jamais su comment. Il y avait des chrétiens et des musulmans au même mariage. Sur la ferme de l'homme, les convictions religieuses ne comptaient pas. Il engageait ses voisins et tout se passait bien. Sa ferme était un centre pour une communauté.
C'était une fête mémorable, même si j'étais parmi des gens que je ne connaissais pas. Le courant passait dans les deux sens, et même si on était des étrangers venant de loin.
Après la tombée de la nuit, j'ai planté la tente.
Les autres ont couchés dans le LandRover.
Le lendemain matin on a fait nos adieux à l'homme qui remplissait son camion des caisses de produits variés.
On est retourné vers le hameau où on avait eu le bombardement.
Nazilh avait des jumelles puissantes et il regardait souvent à travers.
Nazilh - Roadblock ! Roadblock !
Moi, freinant doucement - C'est qui ? Ils nous voient ?
Nazilh - C'est les "X". Non ils ne nous ont pas vus.
Moi - It's the "X" and they did not saw us yet.
Phillip - Lets get out of here.
J'ai pris le désert lentement pour pas lever de poussière. On savait qui avait tiré. C'était l'essentiel.
C'était vraiment pas une bonne idée de se présenter à un barrage routier des "X" avec des caméras.
Deux jours après on y était avec de petites caméras 16 mm discrètes qu'on avait amené à pieds par le désert.
Le lendemain il fallait retourner à Tripoli pour poster les bobines, remplies d'horreur.
En pleurant, trois hommes devaient évacuer les images du jour de leurs têtes. Il fallait parler d'autre chose. On s'est parlés de la noce. J'ai mentionné les pneus du camion de l'homme, qui étaient usés à la corde.
Phillip - We cut to buy him new tires and go party again ?
On s'est accrochés à ça avant de dormir.
Quelques jours après, l'homme pleurait de joie quand on lui a apporté 7 pneus neufs pour son camion.
Les enfants nous grimpaient encore dessus comme si on était des manèges, et il avait au moins une cinquantaine de personnes qui travaillaient au champ.
On a encore bouffé comme des cochons, et sommes repartis avec plein d'alcool clandestin.
C'est une belle histoire, non ?